"Le blanc va aux sorcières", Helen Oyeyemi


Le Blanc Va aux Sorcières
Titre original: "White is for Witching"
Auteure: Helen Oyeyemi
Éditeur: Galaade éditions
Traduit de l'anglais par: Guillaume Villeneuve
Nombre de pages: 329

* Quatrième de Couverture *

"Le blanc va aux sorcières, une couleur à porter de manière à ce que toutes les autres couleurs puissent vous pénétrer, que vous puissiez les utiliser."

C'est une mystérieuse maison d'hôtes, sur les falaises, près de Douvres. Une maison vivante, magique, plus grande qu'on ne le croit, avec ses fenêtres comme de drôles d'yeux carrés, fatigués, son ascenseur déglingué, ses corridors, son escalier qui aboutit toujours dans la cuisine au clair de lune. Avec malignité, elle déploie ses charmes pour chasser ses habitants: Luc, le père et maître de maison depuis la disparition en Haïti de son épouse, la belle Lily Silver, plus précieuse que l'or; la Grand Abba à la chevelure très blanche qui dévalait en masse sur ses épaules; Sade, l'étrange gouvernante, gardienne des voix du passé; la teinte invariable des yeux gris de Miranda qui entretient un lien si fragile avec la réalité et son jumeau Eliot; enfin la belle et sensuelle Ore qui fait éclore le désir.

Entre modernité et héritage classique, dans les pas des sœurs Brontë, d'Henry James ou d'Edgar Poe, Helen Oyeyemi, jeune auteur prodige, récompensée par le prix Somerset Maugham, nous offre avec Le blanc va aux sorcières un conte gothique et hypnotique, à la Tim Burton, et renouvelle le récit de la maison hantée, inscrivant les frissons qu'il provoque au cœur même de notre époque.
 
* Mon Avis *

Wouah ! Ce roman est fascinant.

Les Silver ne parviennent pas à faire leur deuil de Lily, la mère de famille récemment disparue. Miranda, la fille, est malade, atteinte de pica - ce trouble alimentaire poussant ses victimes à avoir faim de tout sauf de nourriture comestible: craie, plastique, roche... - et perd peu à peu contact avec la réalité; Eliot, son frère jumeau, ne sait plus comment l'aider; quant au père, il se consacre à la maison d'hôtes dans laquelle ils vivent en tentant de trouver de nouvelles recettes de cuisine qui mettraient en appétit sa fille. Si chacun essaie tant bien que mal d'avancer, l'âme de la maison pourrait bien leur causer des inquiétudes supplémentaires: Miranda et Sade, la gouvernante, semblent voir, entendre et ressentir des choses incompréhensibles et néfastes pour tous.

Ce récit est indescriptible ! La plume d'Helen Oyeyemi est envoûtante, je n'ai jamais rien connu de tel au cours de mes précédentes lectures, et bien que l'histoire se déroule dans un monde contemporain, un effet gothique et historique se fait clairement sentir, habite chaque page. Les descriptions assez évasives des personnages leur apportent une certaine poésie, tout autant qu'une aura mystérieuse et ténébreuse; tout le récit semble d'ailleurs hanté par une même atmosphère énigmatique. "Hanté" est vraiment le bon mot puisque c'est le sujet principal de cette histoire (et non pas les sorcières, comme pourrait le laisser penser le titre; quoique d'un certain point de vue on pourrait y affilier une certaine vision), l'histoire donc d'une maison possédée par un (ou plusieurs) esprit malin qui compte bien influencer ses victimes à sa guise; celle également de la hantise d'une pensée obsessionnelle qui peut tout détruire - comme Miranda qui se rend coupable de la mort de sa mère. Les différentes narrations se succédant de manière tout à fait aléatoire et sans construction précise ajoutent à cette ambiance ésotérique.

Ce style si particulier n'est pas simple à lire (et à vrai dire, je ne suis moi-même pas certaine d'avoir tout compris), il demande un détachement, une envie de découverte et un esprit ouvert qui, s'ils sont réunis, vous permettront d'être ensorcelés par ces lignes. Pour ma part, j'ai adoré cet envoûtement !
 
* Parlons Couverture *

Cette illustration sombre et énigmatique de Lisa Kimberly est jolie, c'est un choix intéressant qui convient plutôt bien à l'étrange plume de l'auteure. Je reste cependant sous le charme complet de l'édition originale et sa couverture mettant en avant la maison d'hôtes autour de laquelle presque tout le récit se déroule.


Citations:

* Pourquoi les gens vont-ils dans ces endroits, ces endroits qui ne leur sont pas destinés ?

* [...] ces années d'adolescence qui étaient le royaume des émotions baroques.

* Ses pensées étaient comme de gros glaçons, et elle devint trop grosse pour eux - elle ne pouvait bouger de pensée en pensée sans les casser.

* les professeurs n'avaient pas de traits, ils étaient du savoir costumé en personnes et blotti sur des fauteuils.

* Je suis là, à lire avec vous. Je lis cela par-dessus votre épaule. Je fais de votre maison un chez soi, je suis le braille de votre papier peint, lisible par vos seuls doigts - je vous dis où vous êtes. Ne vous retournez pas pour me regarder. Je ne suis tangible que lorsque vous ne regardez pas.

* Elles n'avaient pas de paupières car des choses vous échappent quand elles battent.

* La bibliothèque de l'université est une bouche hermétiquement close, dont chaque dent est un livre, chaque livre pousse par-dessus, par-dessous et derrière un autre. Les pupitres sont placés devant les rayonnage, certains entre deux bibliothèques de telle sorte que quiconque y est assis éprouve le sentiment de quelque chose de poussiéreux, d'intangible et d'indiciblement puissant, quelque chose d'analogue à Dieu, qui l'observe par les minuscules interstices des étagères.

* Je dactylographie tout, et si c'est impossible, j'écris en capitales, si rassurée par les espaces parfaits formés à l'intérieur de mes O, de mes P, de mes Q, que je pourrais entrer à l'intérieur d'une lettre en la faisant dans comme un cerceau.

* Je m'asseyais sur le sol, dos contre le lit, ordinateur sur les genoux, à essayer d'envoyer des mots à Miri, mon problème, ma plume fragile, à qui je ne pouvais écrire "Je t'aime" parce que je l'entendais avec colère et qu'elle s'en rendrait compte.


Suzy Bess.
 

Commentaires

  1. Cette avis donne trés envie de découvrir le récit. Une bonne histoire de maison hantée, ce n'est plus si fréquent !

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